Claudette Joannis
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Présentation Introduction

Introduction


30 juin 2010

La collection de bijoux des musées de Malmaison et de Compiègne : contenu et caractéristiques

Les bijoux et la mode

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Portrait de Madame Marcotte de Sainte-Marie. Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier

Si, dans la collection que nous étudions ici, tous les genres d’ornements sont représentés, la prédominance des bijoux féminins y reste marquée, ce qui ne surprendra pas. Cela n’exclut ni les bijoux masculins, ni quelques pièces d’enfant. Les broches, pendentifs et pendants d’oreilles sont très présents alors que les bagues et les bracelets le sont beaucoup moins ; on peut s’en étonner car la période la plus représentée est le xixe siècle, et plus précisément celle qui s’étend de 1820 à 1870 : si l’on accorde foi aux nombreux portraits peints de cette période, les bracelets étaient pourtant portés à chaque bras et les bagues ornaient plusieurs doigts. La présence d’assez nombreuses boucles et agrafes de ceinture rappelle que lorsqu’ils accompagnent le vêtement, les bijoux sont tributaires de la mode ; le Premier Empire n’a pas laissé de boucles de ceinture de grandes dimensions : elles se réduisent alors à de petites attaches sous la poitrine, à peine visibles ; il faut attendre le retour de la taille à sa place, après 1820, pour voir de belles agrafes, souvent hautes, se montrer de façon ostentatoire sur la robe ou le manteau. L’effacement de la taille explique la disparition de la châtelaine de la fin de l’Ancien Régime aux années 1830.

Du côté des hommes, le gilet court à poches plaquées a permis le port de la montre, qui s’est accompagnée de chaînes et de breloques. Ces deux bijoux représentent, avec l’épingle de cravate, l’essentiel de la parure masculine pendant tout le xixe siècle.

Les boutons décorés et les boucles de chaussures du siècle précédent sont, eux, beaucoup moins à l’honneur. En revanche, sertis dans les montures les plus diverses, les camées gravés sur des pierres dures ou sur des coquillages sont innombrables. Du Premier au Second Empire, ils règnent en maîtres sous forme de broches ou de médaillons.

L’art de la parure

Les merveilles de l'Exposition universelle de 1867, Ensemble de l'exposition de Mr Baugrand (joaillier), planche p. 183 © RMN / Gérard Blot

Que les vêtements soient amples ou serrés, qu’ils couvrent le corps ou le dégagent, aucune mode n’a jamais été un obstacle au port de bijoux ; celle des robes de bal largement décolletées, de 1830 à la fin du Second Empire, les a cependant particulièrement mis en valeur. Ces toilettes convenaient parfaitement aux larges broches de corsage à pendeloques et à ces somptueuses parures de pierres fines qui ne quittaient leurs écrins que le temps d’une soirée pour rehausser la beauté d’épaules, de cheveux ou de bras. Ainsi apprêtée, la femme est un véritable faire-valoir de la position sociale de son mari ; « L’homme a très vite délégué à la femme l’exposition de sa propre richesse […] : la femme témoigne poétiquement de la richesse et de la puissance du mari », écrit Roland Barthes dans « Des joyaux et des bijoux » (Jardin des arts, no 77, 1961). C’est en effet à cette époque que les hommes abandonnent aux femmes les riches atours dont ils étaient parés depuis des siècles.

Les manuels de savoir-vivre sont, à la fin du xixe siècle, les guides indispensables de la vie sociale bourgeoise. Ils résument et prescrivent, entre autres, les règles à suivre en matière de vêtement et de bijoux. Sous ce nom d’emprunt, la baronne Staffe (1843-1911), dont les livres sur les usages du monde eurent un grand retentissement, écrit au tout début du xxe siècle, dans son ouvrage intitulé Les Hochets féminins (1902) : « La femme si elle a de nombreux écrins, porte un jour ses perles, le lendemain ses topazes, le surlendemain ses turquoises… Elle sait que pour être jolie la parure doit être homogène : boucles d’oreilles – si l’on en porte – bracelets, etc. doivent être composés des mêmes pierres et avoir une monture identique. » N’y allant pas par quatre chemins, la baronne précise : « un beau cou sera bien admiré sans parure, et par contre, une rivière de diamants enlaidira encore le cou ridé et jauni d’une vieille femme ». Il est donc fait appel, dans ces manuels, au sens esthétique autant qu’aux convenances. Nous apprenons que dans la bourgeoisie comme dans l’aristocratie, la vie sociale est faite de contraintes. Les heures du jour, les événements personnels sont scandés par une toilette particulière (robe et bijoux), ce qui explique la variété des broches et des boucles d’oreilles, différentes pour la tenue du matin, de l’après-midi ou du soir.

L’amour et la mort

Le deuil, qui tient une place importante dans les usages, proscrit les bijoux dans un premier temps, puis autorise ceux dont les couleurs sombres peuvent s’accorder à la tristesse : le jais, principalement, auquel s’ajoute l’améthyste quand il approche de sa fin. On peut d’ailleurs à juste titre s’étonner de ne trouver que fort peu de bijoux de deuil dans notre corpus.

Les bijoux en cheveux ou incluant des cheveux tiennent une place non négligeable, en particulier au début du xixe siècle. Ils sont typiques du sentimentalisme qui se développe à partir du xviiie siècle et se maintient longtemps, de petites photographies commençant à remplacer les cheveux à partir du Second Empire. Les plus courants se composent d’une mèche de cheveux qui, précieusement enserrée dans un bijou monté en broche ou en pendentif, symbolise intimement le souvenir d’un disparu ou la pensée d’un être aimé. Notre époque s’est depuis détournée de cet usage, souvent perçu comme morbide.

De l’Antiquité à l’exotisme

Anonyme, Les Trois Dames de Gand. Paris, musée du Louvre © RMN / Daniel Arnaudet

Les découvertes archéologiques faites en Italie dans la seconde moitié du xviiie siècle, à la suite des redécouvertes d’Herculanum et de Pompéi, encouragèrent dès le Directoire le goût pour les bijoux antiques ; cette mode fit fureur sous l’Empire et se poursuivit durant le xixe siècle. De nombreux bijoutiers italiens et français se spécialisèrent alors dans l’imitation des bijoux antiques, très appréciés dans la haute société européenne. Pourtant, aucun bijou de ce type n’existe dans les collections.

Certains bijoux acquis lors de voyages à l’étranger – qui sont de plus en plus prisés à partir de 1830 – restent difficiles à identifier. L’origine espagnole ou italienne de quelques pièces semble manifeste, mais d’autres sont d’une provenance moins aisée à déterminer : Afrique du Nord ? Turquie ? Autriche ? Balkans ? L’absence de marques ne facilite pas la tâche du chercheur, qui n’a dans ce cas d’autres repères que stylistiques.

Le lecteur s’étonnera peut-être de voir mentionner des accessoires comme les faces-à-main, les flacons à odeurs ou les cachets, mais s’ils ne sont pas à proprement parler des bijoux, la présence de chaînettes ou le caractère esthétique de l’objet permettent de les assimiler à notre corpus.

Identification et datation des bijoux

Les éléments principaux qui guident l’identification et la datation d’un bijou sont sa forme générale, son style, les poinçons qui y sont insculpés, la nature des pierres.

Les poinçons

Au Moyen Âge déjà, chaque maître orfèvre possédait son poinçon, dont l’usage se systématisa progressivement ; le xviiie siècle y ajouta un second poinçon de maître, plus petit. Si l’abolition des corporations en 1791 vint perturber un temps ce système de contrôle, une loi édictée le 19 brumaire an VI (6 novembre 1797) en a réorganisé ensuite l’usage et reste de nos jours la charte fondamentale de l’orfèvrerie. Trois catégories de poinçons furent instituées : celui du fabricant, apposé par celui-ci, et qui constitue en quelque sorte sa signature ; celui qui garantit l’exactitude du titre, apposé par l’État ; celui de la garantie, également apposé par l’État lors du paiement du droit de garantie.

Ces poinçons se différencient en fonction du matériau (or, argent, platine, métal doré ou argenté), de la catégorie d’objets (bijoux, chaînes, horlogerie), du lieu (Paris, province, étranger). Les bijoux portent généralement deux poinçons : celui du titre et de la garantie, confondus à partir de 1838, et celui du fabricant.

Le poinçon de titre et de garantie

Franz Xaver Winterhalter, Portrait de femme. Paris, musée du Louvre © RMN / Thierry Le Mage

C’est avant leur polissage et leur achèvement que les pièces sont apportées au bureau de garantie pour être marquées du poinçon d’État qui atteste le paiement obligatoire des droits et garantit la proportion de métal fin dans l’alliage. Cette proportion, longtemps évaluée au moyen du rapport poids/volume de l’objet, permettait de différencier trois niveaux de garantie : la grosse garantie pour les alliages les plus purs, la moyenne garantie, et la petite garantie, qui se contentait d’assurer que l’alliage contenait bien une proportion de métal précieux très proche du titre légal minimal. La loi du 19 brumaire an VI (6 novembre 1797) n’admettait pour l’or que trois titres, le 1er titre correspondant à une proportion d’or de 920/1000, le 2e titre à 840/1000 et le 3e titre à 750/1000 (soit 18 carats, tel qu’on l’exprimait jusqu’à la fin de l’Ancien Régime). Elle n’en connaissait que deux pour l’argent.

Transcrit en poinçons différents selon qu’il s’agit d’or, d’argent, de platine…, le titre est représenté par une tête humaine ou un animal. Sur les bijoux en or, le plus répandu est la tête d’aigle, en usage courant pour désigner la petite garantie or depuis 1838 et les premier et deuxième titres depuis 1919 ; c’est la présence (ou non) et la forme du listel entourant cette tête qui servent à indiquer s’il s’agit d’un 1er, 2e ou 3e titre ; avec quelques variantes, elle a toujours cours aujourd’hui. Pour l’argent, la tête d’aigle est remplacée par l’effigie de la déesse Minerve, et pour le platine par la tête de chien.

À partir de 1838, l’horlogerie d’or utilise des poinçons spéciaux.

Le poinçon de fabricant

Remplacement du poinçon de maître de l’Ancien Régime, le poinçon de fabricant est de forme losangée verticale, puis horizontale, et contient les initiales du nom du fabricant accompagnées d’un symbole.

Le poinçon de recense

Pour lutter contre les fraudes, imitations et contrefaçons, le fisc pouvait déclarer que, passé une date donnée, les poinçons anciens perdaient toute valeur. Les ouvrages poinçonnés devaient alors recevoir une nouvelle marque, qui était apposée par l’État sous la forme d’un poinçon de recense. Ce système institué en 1722 fut encore utilisé après la Révolution, en 1809, 1819 et 1838.

Autres poinçons

Victor Viger du Vigneau, L'Impératrice Joséphine, Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau © RMN / Yann Martin

À partir de 1838, les bijoux importés, exportés et de nouveau importés sont insculpés d’un poinçon particulier : un charançon depuis 1838, une tête de Mercure depuis 1840 (exportation), les lettres ET dans un rectangle (importation des pays contractants), puis un hibou ou un cygne (importation des pays non contractants), ou encore une tête de lièvre (poinçon de retour).

Les bijoux en plaqué ou doublé, ainsi que ceux dorés ou argentés par électrolyse, portent un poinçon carré avec les initiales du fabricant, accompagné du mot « doublé ».

Depuis 1838, les chaînes jaseron portent un poinçon (tête de rhinocéros) apposé tous les dix centimètres.

D’autres marques peuvent être rencontrées, comme le poinçon de hasard (hache), le poinçon d’essai (tête de bébé joufflu)…

Absence de poinçon

Beaucoup de bijoux en or ne portent pas de poinçon. Ceci peut provenir de ce que ces bijoux ont été fabriqués en fraude, de la disparition des poinçons lors d’une réparation… Il est à noter aussi que les bijoux de certaines provenances étrangères ne portent pas de poinçons ; quand ils existent, ils n’ont pas toujours été identifiés.

Les pierres

Si les diamants taillés en rose et les émeraudes sont généralement présents, le strass et les pierres fines sont plus courants. En effet, à partir de 1820, turquoises, améthystes, grenats, opales, citrines sont, avec le corail, des pierres d’ornement très appréciées, pour les bijoux du jour comme pour ceux du soir. Elles sont également moins coûteuses que les pierres précieuses, et leurs nuances variées permettent de les harmoniser aux toilettes.

Matériaux et techniques

D'après Franz Xaver Winterhalter, Eugénie de Montijo de Guzman, comtesse de Teba, impératrice des Français (1826-1920), représentée devant le parc de Saint-Cloud et portant l'ordre des Dames nobles de Marie-Louise d'Espagne. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © RMN / Daniel Arnaudet

Les matériaux et les techniques ont un rôle fondamental, d’autant plus que le xixe siècle est celui de nombreuses inventions, ainsi que de redécouvertes et de réutilisations de techniques anciennes comme le grènetis, le filigrane et le travail de l’émail. Tous ces procédés, qui incluent le serti clos pour les pierres ou les fixations à l’aide de goupilles et de rivets, sont observables sur les bijoux étudiés.

La technique du doublé par électrolyse, qui permet de recouvrir un métal non précieux d’une dorure autrement qu’en y soudant une fine plaque d’or, est sous le Second Empire une nouveauté qui, avec d’autres procédés industriels, permet de réduire le temps de fabrication ainsi que le coût des bijoux. Une production de modèles variés et bon marché commence ainsi à être diffusée partout en Europe, notamment par l’intermédiaire des catalogues des grands magasins. Il n’est cependant pas toujours aisé pour un œil non averti de distinguer un bijou fait à la main d’un bijou estampé, d’autant que les deux procédés peuvent être utilisés simultanément.

Très peu présente dans notre collection, la fonte de fer dite « de Berlin » fut mise à la mode en Prusse durant les guerres napoléoniennes ; ce matériau fruste, noir et mat, eut encore un grand succès dans les bijoux de deuil jusqu’en 1830.

L’aluminium, découvert au début du xixe siècle, fut fabriqué en France à partir de 1854. Un bracelet en or et aluminium ciselé décoré de rubis fut offert par Napoléon III à la reine Victoria après sa visite de l’Exposition universelle de Paris en 1855 (il est aujourd’hui conservé en Angleterre, dans une collection privée). Ce nouveau métal malléable, peu oxydable et très léger fut rapidement utilisé pour la fabrication de bijoux et de petits objets : dès 1859, des bijoutiers proposèrent des bracelets, des broches, des pendants d’oreilles en aluminium ciselé et métal doré. Cependant, sa production était trop coûteuse à l’origine pour que ces bijoux connaissent une large diffusion, ce qui peut expliquer leur absence dans les collections que nous présentons.

Les nombreuses récompenses distribuées lors des expositions universelles qui se tinrent en France entre 1855 et 1900 témoignent de l’essor de la bijouterie, la joaillerie restant réservée à une clientèle restreinte. Les comptes rendus d’exposition sont une source primordiale pour retracer le développement du commerce et de l’artisanat, pour connaître la fortune des nouvelles inventions et pour apprécier les débouchés constitués par une clientèle qui débordait les limites de la France.

Ces considérations techniques et sociologiques sont loin d’être négligeables pour l’étude approfondie d’un corpus de bijoux aux origines diverses et de provenance parfois incertaine, que l’observation attentive, l’étude comparative et la lecture des poinçons n’ont pas toujours permis d’élucider.

Entre histoire et sentiments

Jean-Baptiste Regnault, Portrait de la reine Hortense, reine de Hollande. Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau © RMN / André Martin

Soulignons pour conclure que l’histoire des bijoux étudiés ici suit celle des bijoux en général. De leur écrin d’origine au musée, ils ont souvent connu une vie mouvementée : les éléments ont pu être séparés, perdus, cassés, recomposés pour d’autres usages, tels les pendants d’oreilles transformés en broche ou la substitution, sur la bague du sacre de l’impératrice Joséphine, du rubis d’origine par un grenat. Mais au travers de leur fragilité, de leur préciosité, de leur élégance, ces témoins de l’Histoire restent aussi intensément porteurs d’émotion. Histoire et sentiments sont les deux caractères prédominants de ce corpus.